jeudi 8 août 2013

DEVOIR DE RÉPONSE DE BERNARD ANTONY À JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS


Pris par l’Université du Centre Charlier à Lourdes puis, aussitôt après, par mon déplacement à Versailles pour les obsèques de Jean Madiran, je n’ai découvert que le mardi 6 août l’article de Jacques Trémolet de Villers titré « In memoriam Pierre Fabre », daté du 31 juillet : avec stupéfaction, avec consternation.
Il relève en effet d’une grande indiscrétion mais bien plus lourdement d’une pitoyable déformation de la vérité, à mon égard, mais beaucoup plus gravement encore, à l’égard de la mémoire de Pierre Fabre. On trouvera donc ci-après comme expression motivée de mon absolu devoir de réponse pour l’honneur de ce dernier, la lettre ouverte que j’adresse ce jour à Jacques Trémolet de Villers.


Le 8 août 2013, à Castres
Monsieur,
Ce que vous avez véritablement « balancé » dans Présent du 31 juillet au mépris de la plus élémentaire discrétion, qui va de soi sur une rencontre strictement privée avec un grand homme aujourd’hui disparu, mais bien plus tristement encore dans le plus total mépris de la vérité, m’impose les commentaires et les rectifications que vous trouverez ci-après.
Vous y indiquez que je vous avais amené vous reposer « au vert »chez Pierre Fabre, mentionnant d’ailleurs que vous ne savez plus bien si c’était après la fin du procès (avril 1994) ou après la mort de Touvier (17 juillet 1996), soit plus de deux ans de flottement dans votre souvenir. C’est en fait quelque temps après le procès, au printemps 1994, que je vous avais organisé un moment de détente à Castres. J’avais été impressionné par votre courage d’avocat, très seul dans ce procès, où votre honneur avait été de plaider avec courage et talent pour un homme qui avait le droit imprescriptible d’être défendu, et d’autant plus qu’il avait antérieurement été grâcié par Georges Pompidou. J’avais eu à cœur, par sentiment de justice, de solidarité catholique et d’amitié française, de vous soutenir. Vous m’en avez exprimé ce 31 juillet votre reconnaissance mais vous avez aussitôt définitivement saccagé pour moi le souvenir de cette amitié.
Pour votre bref séjour, non pas de trois jours mais d’une journée et de deux nuits, j’avais demandé à Pierre Fabre, chez qui j’avais travaillé pendant des années dans la fonction des relations humaines et sociales, s’il voulait bien m’autoriser à vous faire héberger au « Carla », bien plus agréable que ma modeste maison sur rue à Castres. Le « Carla », très belle demeure dans la proche montagne de Castres, est un outil important pour les activités de réception, rencontres et colloques de l’entreprise. Je l’avais longtemps utilisé dans mes fonctions de responsable des relations humaines pour mes tâches de recrutement, de formation, d’information et de rencontres avec les syndicats. Le « Carla » c’était aussi pour Pierre Fabre le lieu où il faisait admirer aux visiteurs de l’entreprise le petit pays granitique du Sidobre qu’il aimait tant.
Ainsi, soucieux de parler de vous en évoquant sa mort, vous y indiquez avec une puérile vanité qu’en vous y recevant, vous étiez « ainsi traité à l’égal des sommités de l’art médical et de la recherche scientifique... »Tout aussi narcissiquement vous vous targuez d’avoir été placé par Pierre Fabre dans la chambre du professeur Lejeune. La vérité c’est que ce dernier fut en effet plusieurs fois l’hôte de Pierre Fabre qui soutenait ses recherches. Mais il n’y a au « Carla » aucune chambre spécialement réservée, elles sont toutes également belles et agréables et comme c’est par moi que vous fûtes reçu, je sais fort bien que vous avez inventé la chambre « Lejeune ». Celle qui vous fut attribuée, comme les autres, a été occupée au long des années par une impressionnante série de personnalités du monde de la médecine, de la pharmacie, de l’économie mais aussi par bien des responsables politiques au plus haut niveau, ministres de droite ou de gauche et encore par les grands généraux de l’armée qui viennent inspecter le 8eme RPIMa tout proche. Certes, Pierre Fabre sachant notre sympathie pour le grand savant de l’embryologie et défenseur de la vie, notamment des enfants trisomiques, nous avait probablement dit le plaisir qu’il avait eu à le recevoir en ce lieu. Mais ce qui précède n’est pas le plus important sinon pour expliquer le tour d’esprit qui vous a entraîné, par goût de votre personne, à déformer aussi incroyablement ce qui allait suivre.
J’avais pensé, pour vous être agréable, qu’en d’autres domaines du droit que celui du politico-judiciaire vous pouviez peut-être correspondre à quelque besoin de l’entreprise. Pierre Fabre avait décidé alors qu’il nous recevrait à dîner avec son frère Jean et deux de leurs amis intimes depuis leur enfance, presque toujours avec eux dans les occasions de « rencontres culturelles ». L’un aujourd’hui décédé était un de vos confrères, très affable, qui écouta bien plus qu’il ne parla. Il vous témoigna sa considération mais, ancien résistant, il n’avait vraiment pas eu pendant la guerre de sympathie pour la collaboration et la Milice... L’autre était Jacques Limouzy, toujours vivant et pétillant, plusieurs fois député, maire de Castres et secrétaire d’État, que j’ai quelquefois affronté électoralement et combattu politiquement mais avec lequel, par-delà nos divergences, j’ai souvent eu de passionnants échanges car il est un homme de vaste culture et écrit de pertinentes réflexions sur notre temps. Grand juriste, longtemps président de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, il y eut les relations les plus amicales avec notre ami le grand avocat Georges-Paul Wagner quand celui-ci y fut député. Vous pensant un peu dans le même style que lui, il était heureux de vous rencontrer, il est en effet un grand admirateur de Georges Pompidou sous lequel il a travaillé et il défendait le bien-fondé de la grâce accordée à Touvier.
Hormis le maître d’hôtel et Fleur, la serveuse, nous étions donc six à ce repas, le seul, le premier et le dernier que vous ayez jamais pris avec Pierre Fabre nonobstant votre évocation des quelques « repas hauts en couleurs » auxquels vous auriez encore participé à ce moment-là. Mais il me faut reproduire ici le passage essentiel de la manière donc vous avez traité de la mémoire de Pierre Fabre :
« Dans ce temps de repos où je n’avais qu’à me reposer – et je ne crois pas avoir fait autre chose, ni chronique, ni courrier, ni note en préparation d’un ouvrage – nous avons eu quand même quelques repas, hauts en couleurs, avec les frères Fabre, des confrères de Castres et de Toulouse, et quelques hommes politiques, invités par le maître de maison, et donc obligés de répondre à l’invitation – car aucun élu ne pouvait refuser une invitation de Pierre Fabre – mais très ennuyés pour ne pas dire effrayés de se retrouver à table à côté de « l’avocat de Paul Touvier ». Leur effroi devenait panique quand Pierre Fabre prétendait nous prendre tous en photo et utiliser un large béret basque pour simuler celui que portaient les miliciens... »
Sur tous ces points vous affabulez lamentablement sans limite, sans pudeur, sans aucune retenue de votre plume et de votre imagination, dans la pure jouissance de vous évoquer surréalistement vous-même. Vous affabulez sur les convives, vous affabulez sur les « quelques repas ».
Allez donc faire croire à quiconque dans les Laboratoires Fabre que leur fondateur, infatigable bourreau de travail, aurait pu accorder plus d’un repas à un invité ne présentant pas du tout un intérêt exceptionnel pour l’entreprise. Pour me faire plaisir et donc pour vous être agréable, Pierre Fabre avait tout de même consenti mieux que le traditionnel petit déjeuner dont il honorait avec une infinie courtoisie, s’excusant de son manque de temps, six fois par semaine, des interlocuteurs autrement importants que vous pour son travail ou quelquefois ses œuvres de bienfaisance.
Mais le pire, l’odieux, c’est que lui, si réservé, si discret, si mesuré, si peu disert, l’exact contraire de certaines « grandes gueules » du monde des affairistes dont il n’était pas, voilà que dans les brumes de votre cervelle narcissique, vous le décrivez comme capable d’imposer, tel un despote oriental, à des élus qui n’auraient pas le choix, l’obligation impérative, selon son bon plaisir, de venir dîner avec vous, le grand avocat de Touvier.
Vous dépeignez Pierre Fabre sans la moindre réflexion sur la crédibilité de votre propos aussi inepte qu’indécent, comme un patron impérieux et hâbleur, vulgairement « haut en couleur ». Mais n’ayant pas pu vous arrêter dans votre fantasmagorie, voilà que vous allez commettre le plus affligeant : l’évocation d’un Pierre Fabre s’amusant à terroriser ses invités, en les conviant à s’affubler à la mode milicienne d’un large béret basque par vous inventé ; et alors, photo s’il vous plaît ! Faut-il que j’ajoute que j’ai côtoyé Pierre Fabre depuis 1970 et qu’on ne l’a jamais vu, ni dans l’entreprise ni ailleurs, s’encombrant d’un appareil photo. On ne le vit jamais non plus, où que ce soit et évidemment pas au « Carla », porter un béret, fidèle qu’il était, en toute ses sorties, à son éternelle casquette avec laquelle il ne faisait aucunement non plus les simagrées que vous avez imaginées.
Mais après quel produit hallucinogène avez-vous pu oser l’évoquer faisant des singeries miliciennes devant des élus de sa région pour les faire passer, écrivez-vous, « de l’effroi à la panique ». On croit avoir la berlue en vous lisant. Et moi, au fait, car vous m’avez oublié dans votre divagation, que faisais-je, que disais-je, étais-je ravi dans cette clownerie imaginaire devant des élus inventés ? Osez-donc raconter pareilles billevesées à Castres ou à Lavaur, à Paris ou à Tokyo, dans une des cinquante filiales du groupe Fabre, aux ouvriers comme aux cadres, je ne donne pas longtemps pour que vous, vous paniquiez alors vraiment. Très, très, très vite. Car il faut vraiment avoir perdu la tête, pour sortir pareilles divagations sur Pierre Fabre qui recevait avec une certaine timidité la plus haute décoration dans l’ordre de la Légion d’honneur ou encore au Japon, la plus prestigieuse, et de la main même de l’empereur. Aucun journal, même parmi les plus venimeusement anti-patronaux, n’a osé propager de pareilles âneries, des mensonges aussi grotesques et donc Dieu merci sans l’ombre d’une plausibilité. Faudrait-il encore que j’ajoute ici que dans le privé, parlant quelquefois de politique, Pierre Fabre, ardent patriote et social-chrétien sans complexe, détestant les divisions historiques de notre peuple et fervent de toutes les réconciliations, n’avait pour autant vraiment pas de sympathie pour la Milice en particulier et la Collaboration en général. Il évoquait quelquefois avec tristesse tel de ses amis de collège assassiné.
Mais étant encore une fois hostile à toutes les vindictes, il vous reçut à ma demande sans difficulté. C’est donc vous, Jacques Trémolet de Villers, qui me faites regretter de vous l’avoir fait rencontrer. J’ai honte pour vous de vos affabulations, et vous les avez écrites dans Présent ! Le journal qui tout de même est encore un peu le mien et m’est si cher. Vous avez été à ce jour le seul dans tous les médias à travestir la grande figure de Pierre Fabre, mon plus grand ami avec Dom Gérard. En suivant son cercueil, avec Elisabeth, mes enfants, avec toute la famille de Pierre Fabre et avec tous les enfants du Mékong par lui adoptés, je n’aurais vraiment pas imaginé un instant que ce qui serait écrit sur lui de plus bête et de plus faux, le serait par un Jacques Trémolet de Villers. J’exprime à ceux-là, à ceux de notre cercle d’amis intimes qu’il vous avait ouvert un bref moment, mes regrets et ma tristesse de vous avoir un jour introduit auprès de lui.
Ainsi, vous, l’avocat et l’avocat Corse, avez-vous pu écrire sur Pierre Fabre en violant simultanément la loi d’honneur de la discrétion et l’honneur de la vérité.



Bernard Antony

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